11. Réunion de chantier

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En arrivant dans la grande chambre qui jouxtait la sienne, Eden comprit ce qu'Emma avait voulu dire en parlant de ne pas laisser penser à Dylan qu'il était « taillable et corvéable à merci » : la pièce, qui n'était plus occupée depuis une bonne dizaine d'années, avait servi de remise pour tout ce qu'on n'avait pas eu le courage de monter au grenier. Et à en juger par l'entassement de meubles et de cartons qui parfois montait quasiment jusqu'au plafond, il devait y avoir eu à La Hêtraie une véritable épidémie de flémingite aiguë.

– On aura aussi vite fait de faire un trou dans le plafond pour tout monter.

Il n'avait pas vu Dylan, qui était assis sur une vieille commode dont le plateau avait disparu. En fait, pour être plus précis, Dylan était assis dans le tiroir du haut de la commode, caché par un portemanteau qui croulait sous les vieilles vestes, les parapluies, et toutes sortes de sacs et de sacoches. Le louveteau avait l'air dépité.

Eden vint s'asseoir à côté de lui, et sourit à la tête de Seth et Emma s'ils apprenaient qu'il avait partagé un tiroir avec Dylan...

– Tu savais que c'était rempli à ce point-là ? demanda-t-il.

– Dans mon souvenir, il y avait quand même un peu moins de choses. Enfin, je savais qu'il y avait du taf, mais à ce point...

– Pourquoi est-ce que tu ne me l'as pas dit ? Quand je t'ai proposé qu'on s'installe ici ? Tu n'allais quand même pas te taper tout ce boulot-là tout seul ?

– Ben en fait, si. Parce que la moitié des trucs qui traînent ici, on m'avait demandé de les monter au grenier. Mais je les ai mis ici, en me disant que je les monterais plus tard. Maintenant, on va perdre un temps fou avec ça...

– Étant donné que l'escalier du grenier commence pile là où finit le grand escalier, tu ne penses pas que tu aurais perdu moins de temps et d'énergie à les monter directement au deuxième étage ?

Dylan leva vers lui un regard vide :

– C'est tout moi, ça. Dès qu'il y a une connerie à faire...

Bon, il était temps de redonner le sourire au gamin.

– Dylan, ce n'est pas une connerie. Crois-moi, il y a beaucoup plus grave dans la vie que de stocker des vieilleries dans une chambre inoccupée.

– Ben oui, mais du coup tu dois être déçu...

– Déçu par quoi ?

Toujours le même regard vide.

– On se connaît depuis moins de vingt-quatre heures, et j'ai déjà trouvé le moyen de te blesser et de te prouver qu'on ne peut pas compter sur moi. En fait, je ne vais pas t'aider, je vais juste être un boulet pour toi.

Si on continue dans cette direction-là, dans moins de trois minutes il va se mettre à pleurer. Et moi, je vais me faire engueuler par les parents.

– Bon, Dylan... Comment te dire... ?

– Dis juste que je t'ai déçu. Je ne suis bon qu'à ça, de toute manière...

– Arrête tout de suite de jouer les victimes : tu ne m'as pas du tout déçu, bien au contraire.

Encore et toujours le même regard. Eden prit conscience qu'avec Dylan, les choses risquaient d'être bien plus compliquées qu'il se l'imaginait. Sous ses dehors de gentille petite pile électrique, il devait cacher des blessures qui ne guérissaient pas. Eden ne savait que trop à quel point il pouvait être difficile d'enfiler son sourire le matin avant de sortir, comme on enfile un joli pull, et de garder pour soi ses idées noires.

Les loups ne se mangent pas entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant