Chapitre 12

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Perpignan, été 2017.

17 ans.

- Ezra -

Depuis trois semaines déjà je vis un rêve. Avec le groupe, nous avons déjà fait Lille, Boulogne-sur-mer, Amiens, Rouen, Paris et ce soir nous allons faire Rennes. Encore excité par le concert de Paris, j'étais plus en forme que jamais pour la suite. J'ai toujours su que cette vie-là était pour moi. Vivre de voyages et de musique. C'est mon rêve depuis tout petit et maintenant qu'il commence à se réaliser, je me dis que j'ai vraiment trouvé ma voie. Je sais bien qu'après cette expérience il n'y en aura peut-être pas d'autres. Je suis conscient que tout peut s'arrêter après cette tournée. C'est évident que mes concerts suivants risquent de se jouer dans des petits bars miteux devant trois soûlards qui m'écouteront à peine. Mais contrairement à des milliers d'autres personnes, je l'aurais vu de près ce rêve. Je l'aurais touché, pleinement vécu ! Chaque soir de concert je suis comme un gamin devant ses cadeaux de noël, mes potes sont obligés de me canaliser mais je vois bien que ça les fait marrer. Ce soir encore c'est le bordel dans la salle, la foule est déjà en délire alors qu'on n'a pas encore commencé. Ils ne sont pas là pour nous, ils attendent ceux pour qui ils ont payé la place. Mais à chaque fois leur cœur est conquis et ils nous accueillent et nous acclament avec plaisir. Je trépigne d'impatience alors qu'on annonce mon arrivée d'ici peu. Pour la première fois, on scande mon nom et ça fait du bien, ça gonfle l'ego aussi, un peu. Beaucoup même. Ce concert à Paris a été une sorte de tremplin pour moi. Rosalie m'a même appelée presque hystérique au téléphone « Tu passes à la télé ! Rappelle-moi ! Tu passes à la télé Zazou ! » et j'ai éclaté de rire en écoutant son message une fois revenu dans la loge. C'est elle qui me manque le plus et si je l'avais tous les jours à mes côtés, je pourrais carrément être plus que comblé. Depuis mon départ, on s'est pas mal rapprochés, paradoxalement elle garde une certaine distance quand le sujet dérive sur Raphaël ou le groupe en général et je me doute bien qu'elle essaie de me cacher quelque chose. Je ne relève jamais parce que je sais très bien que j'aurai toutes les réponses à mon retour, que ce soit par elle ou par les autres.

Quand je rentre sur scène avec ma guitare et mes coéquipiers provisoires pour faire la première partie, l'excitation est à son comble. Mes doigts glissent rapidement sur les cordes dans des gestes presque automatiques, je suis à l'aise. Ma voix s'élève et je parviens à capter toute l'attention. Petit à petit, les autres membres du groupe m'accompagnent. C'est génial ! J'en ai le bide qui se retourne, c'est un vrai pied ! Mon corps entier vibre de plaisir, c'est presque orgasmique de jouer devant tant de monde, de partager sa passion avec autant de personnes qui t'écoutent attentivement, dansent sur ta musique et ont les yeux brillants de l'excitation que tu leur transmets. On joue trois quarts d'heure comme ça. Trois quarts d'heure de différents genres qui envoient plus ou moins, de paroles qui sortent tout droit du fin fond de mon âme. Ce sont les seuls moments où je sais me mettre à nu. Les seuls moments où je sais me libérer quand Rosalie ne se trouve pas à côté de moi. Parce qu'avec Raph' et la musique, y a que cette nana qui m'offre une liberté comme celle-ci. Puis surtout, y a qu'elle qui me prend aux tripes comme ça.

Quand la première partie se termine, j'entends la foule qui en redemande une autre. Un regard vers le groupe majeur, je ne vois que des pouces en l'air et de grands sourires de loubards. Je fais signe à mes musiciens de se remettre en place mais ils me regardent avec des yeux effarés parce que nous n'avons rien répété d'autre et que mon répertoire est bien trop personnel pour pouvoir improviser. Je décide donc d'y aller seul et je finis sur une touche bien plus douce, bien plus sentimentale. C'est l'une des chansons les plus personnelles que j'ai, elle est pour mon père. Parce que malgré tout ce qu'il a pu me dire, le nombre de fois où il a voulu m'enfoncer pour me « montrer ce qu'est la vraie vie », ce soir je me trouve là, sur scène. À l'endroit même où il ne m'attendait pas. Je me tiens devant des centaines et des centaines de personnes qui me redemandent à moi de leur chanter encore une chanson. Je suis passé à la télévision. Je vis au moins pendant deux mois de ma musique, de ma passion, de mon rêve. Il avait tort, et s'il me voit ce soir d'une manière ou d'une autre, j'espère qu'il s'en mord les doigts. Je veux qu'il m'observe, qu'il comprenne que je ne garde même plus de rancœur, même plus la volonté de lui prouver quoi que ce soit. J'ai réussi à lui donner tort, à monter sur scène et à m'y faire une petite place. J'ai réussi à animer les foules, je suis ici dans mon élément. C'est un fait. Et j'espère qu'il s'en mordra les doigts parce que c'est trop tard pour me rattraper maintenant.

Jamais deux sans toi - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant