Une rencontre - Partie 4

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- Bien sûr ?
- Ben, euh... 'fin... Vous savez, les vieux garçons dans les campagnes...
- Il est homosexuel ?
- C'est pas moi qui vous l'ai dit, et évitez d'en parler quand on arrivera. C'est un secret de polichinelle, mais les gens là-bas sont restés coincés au 19ème siècle. Au village, ça passe mieux.
- Je tiendrais ma langue." sourit Leila
- D'ailleurs, je vous demande pardon d'avance mais... Y'a pas que sur les sexualités qu'ils sont à la ramasse, il faudrait sans doute mieux éviter de dire votre nom de famille à voix haute dans les environs.
- D'aaaaccord... Ils sont racistes à ce point ?
- Pas mal, ouais. Et surtout, y'a un paquet de vétérans de la guerre d'Algérie qui ressassent leur humiliation en picolant. Puis c'est la période de la chasse. Vaut mieux pas prendre de risque.
- Ah oui, quand même. Vous pensez que je devrais mentir sur mon prénom ?
- Nan, Leila c'est pas si..." elle hésita "typé, de nos jours.
- Typé ?
- Rah, j'étais sûre que j'allais dire une connerie. Ils ne vous cataloguerons pas comme arabe juste avec ce prénom, voilà !"

Leila sourit. Aurore faisait de son mieux pour lui éviter des problèmes, mais son embarras était bien trop drôle pour qu'elle se prive du plaisir qu'elle prenait à la voir rougir. Sans compter qu'elle était très mignonne quand elle rougissait.

- Je ferais attention à ne pas être trop ouvertement moi-même." dit-elle, observant avec joie sa conductrice ouvrir la bouche puis la refermer après avoir bafouillé quelques syllabes confuses. "Dites, elle est bizarre la statue devant le restaurant de votre oncle. Elle a une histoire particulière ?
- Oh oui ! Mais me lancez pas dessus, j'en sais beaucoup trop et je sais pas m'arrêter.
- Allez-y, je suis curieuse.
- Vous l'aurez voulu !

Voilà, c'était après la première guerre mondiale. Le tourisme commençait à se développer, et le maire de l'époque avait très envie d'en attirer dans le coin. Seulement vous savez ce que c'est : le village n'est pas proche de la mer, y'a pas de vestiges antiques, le climat est pas génial, pas de source aux propriétés miraculeuses, ... Et le château relève de la commune d'à coté. Du coup le maire s'est dit qu'il allait créer les attrapes-touristes qui nous manquaient. Mais comme ils n'avaient pas de gros moyens, il a décidé de jouer sur le folklore local et de fouiller dans la mémoire commune pour limiter les dépenses. Lui et l'instituteur ont interrogé les vieux du coin à la recherche d'anecdotes sympas comme matériaux de base, et ils sont tombés sur le général Honoré Bonneville. Le brave général, selon les légendes, aurait en son temps chassé un bataillon d'anglais à lui tout seul. Pendant la guerre de 100 ans, hein, pas la première guerre mondiale. Et comme c'était un natif du village, et les vieux se souvenaient qu'il y avait une statue de lui sur la place quand ils étaient mômes. Le maire était RA-VI. Il a embauché un artiste sculpteur de Quimper pour qu'il reproduise la sculpture. L'instituteur a réuni tous les témoignages et toutes les archives qu'il a pu trouver pour lui permettre de savoir ce à quoi elle ressemblait. Il avait même retrouvé le nom de l'atelier qui l'avait réalisé, le poids de bronze qui avait été tiré de sa fonte durant la grande guerre et calculé ses dimensions exactes. Tout était préparé pour permettre à l'artiste de produire une reproduction parfaite.

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