Lundi 9 Mars - 1/1

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La période entre Noël et les vacances de Février était à la fois la plus courte et la plus intense du calendrier scolaire. Quatre à cinq semaines seulement pendant lesquelles tout le corps professoral jugeait judicieux de placer un bac blanc pour soutenir l'attention des élèves et leur donner quelques sueurs froides avant les pistes de ski, ainsi qu'un juste retour à la réalité avec les résultats après. Pour le T-S*, ce fut l'occasion parfaite de laisser ses problèmes personnels de côté tandis qu'il se focalisait sur ses révisions et commençait la boxe.

La situation était tendue durant les pauses avec ses amis. Quotidiennement. Elké n'avait toujours pas digéré leur dernière prise de bec - il était même persuadé qu'elle n'attendait que des excuses pour balayer ce différent ridicule - mais au moins le dialogue semblait restauré entre elle et Cyrille. Minimal, mais restauré. Morgane l'ignorait, ce qui n'était ni pire ni mieux qu'avant. L'adolescent avait toutefois noté un changement dans l'attitude qu'elle avait avec Alexandre : comme celui-ci l'avait annoncé, leur relation avait connu une fin brutale, sans pour autant entacher leur complicité entretenue par les répétitions de leur groupe de rock. Nathan n'avait pas eu le fin mot sur l'origine de la rupture, ni cherché à la découvrir.

Il profitait des ambiances lourdes à table ou autour de leur banc pour s'enfermer dans un mutisme qui le tenait loin d'embrouilles supplémentaires avec Louis ou Lex. Il se savait au cœur du problème et voyait bien comment ses amis agissaient quand il n'était plus dans leur entourage direct. Le nouveau célibat de Morgane ne le réjouissait même pas, preuve dont il avait besoin pour se convaincre - et convaincre Elké au passage - qu'elle n'était pas la seule origine de son mal-être. Au fil des semaines, il commençait à mettre des mots dessus, des mots qu'il ne pouvait partager avec personne, ce qui entretenait sa spirale dépressive. Nathan avait le sentiment étrange d'être trop grand pour son propre corps, d'être en décalage avec le reste du monde... Et pour une fois, ce n'était pas son intelligence qui le coupait des autres. Quand il marchait, il avait l'impression que le véritable lui se trouvait un mètre devant ; il n'avait pas la sensation que les aliments avaient le bon goût ; il ne se sentait à sa place nulle part, en partance pour une destination inconnue et sans carte pour se repérer. Beaucoup auraient qualifié cet état de simple crise d'adolescence, mais rationaliser son problème singulier en généralité participait à ce décalage. Il n'y avait guère que sa nouvelle activité sportive et un coach investi qui réussissaient, le temps d'un entraînement hebdomadaire, à lui vider la tête et le rapprocher d'une normalité qu'il désespérait de retrouver.

En un sens, son isolement, sa colère, ses incertitudes le rapprochaient de ce que vivait Morgane, le drame familial en moins. La jeune femme se cherchait tout autant que lui, d'une façon tout autant chaotique. Mais plus celle-ci parvenait à trouver un certain équilibre auprès d'Elké et de ses nouvelles amitiés, plus lui se perdait dans la définition de son moi profond. Aux yeux de sa mère, il n'était que l'excellent élève, la perfection scolaire avec une brillante carrière médicale devant lui. Une réduction dont il s'était longtemps satisfait. Jusqu'au moment de faire ses propres choix pour son avenir et de réaliser que passé le baccalauréat, passées les études supérieures, personne ne lui demanderait jamais ses notes. Ainsi, ce qui le définissait - « être le premier de la classe » - s'évanouirait dans l'indifférence générale. Que resterait-il de lui ? Il avait peur de se réveiller dans dix ans et de contempler le gouffre qui existait entre lui, les autres et ses aspirations. Peur de le voir si grand et de comprendre qu'il était passé à côté de tout ça : lui, les autres et ses aspirations. Il avait toujours été le garçon à avoir des regrets, non des remords, et changer impliquait des choix qu'il ne voyait même pas quand ils se présentaient.

S'il était décidé à entrer en classe préparatoire CinéSup, ce choix ne s'accompagnait d'aucune satisfaction sinon celle d'échapper à la médecine et aux bureaux d'étude pour ingénieurs. Mais les perspectives qu'offrait cette école étaient bien trop lointaines pour influer directement sur son présent. Il s'était souvent imaginé sortir avec Alice mais aujourd'hui, il avait la certitude que la présence de la Terminale L ne l'apaiserait pas. Pas plus que Morgane dans ses bras. Il avait même envisagé Elké et Elvire sérieusement. Mais si chaque scénario amoureux comportait son lot d'avantages, il savait qu'être en couple n'était pas la solution à ce qu'il traversait. Pire, tant qu'il n'aurait pas réglé ses propres conflits, il en souffrirait à plus ou moins long terme, emportant sa dulcinée dans son gouffre d'insatisfaction.

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